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CE, Ord. réf., 26 juill. 2021, n°454754

Passe sanitaire : le CE fait appel à la théorie des circonstances exceptionnelles pour autoriser l’extension du passe sanitaire aux établissements de culture et de loisirs regroupant 50 personnes

 

Depuis le 21 juillet 2021, le passe sanitaire est étendu aux établissements de culture et de loisirs regroupant 50 personnes. La fédération nationale des entreprises des activités physiques de loisirs (ACTIVE-FNEAPL), l’association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et le syndicat des loisirs actifs (SLA) ont demandé au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative de suspendre l’exécution du décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

Au soutien de leur demande,  ils font valoir un doute sur la légalité du décret, lequel  porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts moraux des personnes physiques, en ce que, d’une part, il les oblige à présenter un « passe sanitaire » pour accéder à de nombreux lieux qu’elles fréquentent et, d’autre part, elles n’ont pas été en mesure de se faire vacciner depuis l’annonce du Président de la République du 12 juillet 2021. De même, l’application immédiate du décret alors que l’état d’urgence sanitaire n’est plus en vigueur en métropole depuis le 1er  juin 2021 méconnaît le principe de sécurité juridique  en ce qu’il ne prévoit pas de période transitoire avant son entrée en vigueur et le décret n’a vocation à s’appliquer que pour une durée de quelques jours, jusqu’à ce que le Parlement, saisi le 19 juillet par le Conseil des ministres, adopte une loi étendant le champ d’application du « passe sanitaire ». En outre, la mise en place du passe sanitaire entraîne une perte substantielle de chiffre d’affaires aux adhérents et intérêts professionnels représentés par les personnes morales requérantes. Enfin, ils soutiennent que la réglementation antérieure au décret attaqué permettait de maîtriser la situation épidémiologique.

Par ordonnance du 26 juillet 2021, le Conseil d’État a rejeté la demande de suspension du décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021.

Selon le Conseil d’État, il résulte des données scientifiques disponibles qu’à la date du 21 juillet 2021, la situation sanitaire s’est de nouveau dégradée en raison de la diffusion croissante du variant Delta du virus de la Covid 19 sur le territoire, avec près de 80,2 % des tests révélant sa présence, et que la transmissibilité de ce virus est augmentée de 60 % par rapport au variant Alpha. A la date du décret litigieux, le taux d’incidence était marqué par une forte augmentation de la circulation du virus (+ 111 % sur la période du 11 au 17 juillet 2021 par rapport à la période du 4 au 10 juillet, + 244 % par rapport à la période du 27 juin au 3 juillet). Au 21 juillet 2021 le taux d’incidence était de 98,2 pour 100 000 habitants, soit + 143 % par rapport à la semaine du 5 au 11 juillet. Le nombre des entrées à l’hôpital et des admissions en services de soins critiques a augmenté de respectivement 57 % et 67 % pour la semaine du 14 au 21 juillet par rapport à la semaine précédente. Ces données, qui montrent une dégradation de la situation sanitaire au cours de la période très récente, pourraient se révéler encore plus préoccupantes au début du mois d’août, selon les modélisations de l’Institut Pasteur, dans le contexte de diffusion de ce variant, ceci alors que la couverture vaccinale de la population dont, au 20 juillet 2021, seule 46,4 % avait reçu un schéma vaccinal complet, n’est pas suffisante pour conduire à un reflux durable de l’épidémie.

Ainsi,  compte tenu des « ces circonstances exceptionnelles », de la dégradation de la situation sanitaire et de son « caractère très évolutif », le Conseil d’État, considère que le Premier ministre peut étendre le passe sanitaire, notamment dans le cas où le régime institué pour gérer la crise sanitaire « ne permet pas de répondre à une situation d’urgence mettant en danger de manière imminente la santé de la population, en particulier dans l’intervalle nécessaire à l’adoption d’un nouveau cadre législatif ».

Apparue pour la première fois lors de la première guerre mondiale, à propos d’une révocation prononcée sans communication préalable du dossier (CE 28 juin 1918, Heyriès, req. n° 63412), le Conseil d’État a depuis consacré l’existence de circonstances  exceptionnelles  en cas de guerre, d’émeutes ou de grave catastrophe naturelle (CE 18 mai 1983, Rodes, req. n° 25308 : éruption du volcan de la Soufrière à la Guadeloupe).

Dans les hypothèses de circonstances exceptionnelles, les règles de compétence et la hiérarchie des normes sont bouleversées. En effet, les circonstances exceptionnelles peuvent justifier l’atteinte au principe de la légalité. En dehors de telles circonstances, ces mesures sont illégales voire constitutives de voies de fait (T. confl. 27 mars 1952, Dame de la Murette, req. n° 1339 : arrestations arbitraires opérées en France au lendemain de la Libération).

 

En conséquence, face à une pandémie, les pouvoirs de police sont étendus et les libertés bafouées dans l’intérêt collectif de la Nation.

 

Soumia AZIRIA

Avocate