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Coronavirus et droit de retrait des travailleurs

 

De nature constitutionnelle, le droit à la santé ne s’arrête ni aux frontières des entreprises ni aux portes des administrations publiques. Dès 1981, la convention n° 155 adoptée par l’Organisation internationale du travail, a posé en son article 13, le droit du travailleur de se retirer d’une situation de travail lorsqu’il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un péril imminent et grave pour sa vie ou sa santé.

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En droit de la fonction publique d’Etat, le droit de retrait a été consacré au bénéfice des agents publics par le décret n°95-680 du 9 mai 1995. Ce dernier a introduit un article 5-6 dans le décret du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique. Son champs d’application a été étendu en 2000 aux agents territoriaux [1]. Dans la fonction publique hospitalière, et comme pour les règles concernant le CHSCT, les dispositions du Code du travail sont applicables [2].

 

Qualifié de principe général du droit (TA Besançon, 10 oct. 1996, Glory c/ Cne Châtenois-les-Forges) l’exercice du droit de se retirer d’une situation dangereuse demeure plus encadré dans la fonction publique. En effet, il est à concilier avec d’autres droits et obligations de l’agent public : les principes spécifiques de l’obligation d’obéissance hiérarchique, le devoir de réserve et la continuité du service public. En cas de trouble à l’ordre public, le préfet pourrait être amené à réquisitionner des agents publics afin d’assurer la continuité du service public. D’ailleurs, lors de son discours, le directeur général de l’APHP, Martin Hirsch a lancé un appel à la réquisition du personnel de santé afin de garantir la continuité du service public de santé.

 

Un droit de retrait en cas de danger grave et imminent.

 

En application de l’article 5-6 dudit décret, tout agent public peut se retirer d’une situation dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. L’autorité administrative ne peut demander à l’agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent. Ces deux conditions sont cumulatives. Le danger grave et imminent doit s’entendre « comme une menace susceptible de provoquer une atteinte sérieuse à l’intégrité physique de l’agent dans un délai rapproché » et « par référence à la jurisprudence sociale, comme étant une menace directe pour la vie ou la santé du fonctionnaire ou de l’agent ». Ainsi, le danger imminent résulte de « la survenance d’un événement dans un avenir très proche, quasi immédiat » et « susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché » [3]. A titre d’exemple, consiste un danger grave et imminent pour l’agent public « une opération consistant à fixer des illuminations de Noël à partir d’une échelle et d’un godet de tracteur levé à 4 mètres du sol » [4] De même, le tribunal administratif de Marseille a considéré clairement qu’un agent public travaillant régulièrement dans un lieu amianté peut se prévaloir du droit de retrait en raison du caractère cancérogène des poussières d’amiante [5].

Le juge administratif apprécie cas par cas les situations de travail. La légalité du droit de retrait se fait en fonction des qualifications et de l’expérience professionnelle de l’ agent [6], de ses réserves antérieures [7], de la rapidité de son retrait [8] ou encore de la réaction des agents placés dans la même situation.

Le juge administratif exerce un contrôle normal sur l’appréciation, par l’administration, de la dangerosité de la situation. A contrario, il exerce un contrôle de proportionnalité sur les mesures prises par l’administration pour mettre fin au danger [9] tels que tous les litiges d’ordre technique [10].

 

L’exercice du droit de retrait encadré au sein de la fonction publique

L’agent public doit demeurer prudent. En effet, le droit de retrait est soumis à une procédure d’alerte. L’agent public doit informer et prévenir son employeur public sur le danger. Aucun formalisme n’est exigé. En effet, les employeurs publics comme ceux du privé sont tenus à une obligation de prévention des risques professionnels. L’obligation d’information suppose que l’agent signale le danger soit directement soit par l’intermédiaire d’un représentant du personnel. L’autorité administrative doit enregistrer l’incident sur un registre spécial pour une bonne traçabilité du risque.

Si l’agent se retire, l’autorité administrative doit procéder à une enquête. Si l’autorité administrative constate le danger, elle est tenue de prendre les mesures nécessaires afin de faire cesser le danger immédiatement. A défaut, l’administration met l’agent en demeure de reprendre son poste. Sauf, abus, l’agent ne fait pas l’objet de sanction (ni retenue de salaire ni sanction disciplinaire). Si l’autorité administrative décide de procéder à une retenue de salaire, celle-ci doit être motivée et justifiée [11].

En outre, le droit de retrait doit s’exercer de telle manière qu’il ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. En d’autres termes, l’agent public doit s’assurer que la cessation de son travail n’entraînera pas un autre danger grave et imminent pour un tiers, un usager ou un collègue alors même qu’il existe un danger grave et imminent. 

Ceci explique que certains personnels, par la nature de leurs fonctions, ne bénéficient pas d’un tel droit de retrait [12]. C’est le cas par exemple des militaires( l’article L. 4111-1 du code de la défense énonce que « l’état militaire exige en toute circonstance (..)discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité »).

En effet, les juges du fond considèrent alors que le droit de retrait n’est pas reconnu à l’agent dont la situation de danger n’est pas détachable des risques inhérents aux fonctions exercées. Il en est ainsi pour un agent des services hospitaliers, exposé à un risque de contamination du virus du sida, et dont le droit de retrait n’est pas légalement justifié [13]. En effet, la présence dans un établissement hospitalier, de malades porteurs du virus type HIV ne présente pas, le caractère d’un danger grave et imminent, dès lors qu’un hôpital, en raison même de sa mission, est apte à face aux risques de contagion pour ses agents et pour les tiers. Le raisonnement serait le même s’agissant des cas de coronavirus au sein d’un CHU ou d’un clinique privée, sous réserve de l’appréciation souveraine des juges de fond. La situation de danger n’est pas détachable des risques inhérents aux fonctions exercées. A contrario, au sein d’une collectivité territoriale telle une mairie, l’épidémie du coronavirus n’est pas inhérente aux fonctions exercées. Prudence néanmoins sur le risque professionnel, si l’agent a alerté l’autorité territoriale sur le danger et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires, cette abstention est constitutive d’une faute inexcusable [14].

 

Notes :

[1] Décret n° 2000-542 du 16 juin 2000 modifiant le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale

[2] Code du travail, articles L.4131-1 à L.4131-4 applicables aux personnels relevant de la FPH

[3] Circ. 8 août 2011 relative à l’application des dispositions du décret n° 82-453 du 28 mai 1982

[4] TA Besançon, 10 oct. 1996, Glory c/ Cne Châtenois-les-Forges précit

[5] TA Marseille, 24 mai 2011, n° 0805542, Hierlé

[6] TA Nîmes, 15 oct. 2009, Felices

[7] CAA Bordeaux, 3 nov. 2009, n° 09BX00691, M. Grille.

[8] TA Amiens, 20 mai 2011Dumont

[9] CE 16 déc. 2009, n° 320840, Mme Touati c/ Min. de la Défense

[10] Sur l’existence d’un danger pour la santé de produits médicamenteux, CE 15 mai 2002, n° 22528, Assoc. Choisir la vie)

[11] Conseil d’Etat n° 36953, 18-06-2014

[12] Arrêté du 15 mars 2001 portant détermination des missions de sécurité des personnes et des biens incompatibles avec l’exercice du droit de retrait dans la fonction publique territoriale

[13] TA de Versailles, n° 872362 du 2 juin 1994, syndicat CGT du personnel de l’hôpital Joffre

[14] CAA Nancy, n°07NC01704, 15 octobre 2009, Conseil d’Etat, n° 320744, 22 juin 2011, cas d’un employé du département

 

 

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